Chaque décennie, chaque cycle nous offre sa part d'anges déchus, ses individus devenus icônes, au magnétisme évident, à la portée poétique et au destin tragico-cynique. Aux Morisson, Joplin, Hendrix et Drake des années 70-80 se succèdent une nouvelle vague d'écorchés vifs, d'individus dont la souffrance génotypique et le désespoir phénotypique n'ont d'égaux que leur oeuvre, sublimation de leur art, manifeste personnel au rayonnement universel. Étrange paradoxe que celui où la restitution des souffrances par le truchement de ces âmes chantantes n'a de cesse de transfigurer la noirceur en lumière, de magnifier des mots sur les maux, synesthésie émotionnelle où les lacrymales s'en donnent à coeur poignant à l'écoute de ces paroles. De ces dernières décennies nous retiendrons les destins des talentueux Cobain, Buckley, Staley, sans oublier sûrement le plus discret d'entre eux, Elliot Smith. De naissance Steven Paul Smith, mort en 2003 dans des conditions douteuses, il est surtout connu pour sa participation active à la BO du film Will Hunting, et à la nomination aux Oscars qui en découla. Il ne faudrait cependant pas limiter le génie de Smith à cet exercice de style, tant ce dernier a contribué au renouveau du Folk-rock en empruntant les chemins tortueux et lugubre de ses premiers amours, le Grunge. Quoi de mieux que son album Either/or sorti en 1997 pour en convenir. Sur ce dernier, point de guitares saturées ou de voix gutturales, aucunement des rythmes effrénés ou de violences exacerbées. Non, et bien que l'électrique fasse son apparition au côté de la batterie et de la basse, contrairement aux albums précédents à la disposition acoustique et épurée, ici tout semble apaisé. Paradoxalement, la douceur dans la voix d'Ellioth Smith donne encore plus de force à ses propos traitant de l'alcool (Between the bars, «Drink up one more time and i'll make you mine. keep you apart deep in my heart separate from the rest? »), de la mort, de névrose (Pictures of Me, «So sick and tired of all these pictures of me ») , bref de thèmes ne se prêtant pas à la quiétude. Rien n'est donc rose dans son monde, assurément plus onyx qu'albâtre même si les deux s'y retrouvent (Say yes), et malgré cela on ne ressort pas détruit de cet album. Pourquoi ? Car les arrangements ne sont pas pesants et textes de Smith ne se fondent pas dans le larmoiement et l'apitoiement. Pourtant ils font cruellement mouche, au plus profondément de votre être (les sublimes Angeles et 2:45 a.m rappelant les fulgurances de Nick Drake) . Cette sincérité, si rare, captive et émeut. Papillon de jour attiré par cette anti-lumière folk, pop (le très Beck/Beatles, Picture of me) voire Grunge (No Name no,5), Either/or prouve encore une fois que si les plus grands acteurs comiques peuvent être les plus grands dramaturges, les torturés savent nous bouleverser mieux que quiconque.
Mr Blue
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