Ecouter No time for dreaming, c'est presque entendre un vieux disque de soul coincé au creux des années 1970, et dont on se demande comment il n'a pas plus fait parler de lui jusqu'à présent. Et pourtant, l'album est le premier de son auteur, et il a paru en 2011. Charles Bradley n'a pas eu une vie de paillettes qui tombent en pluie sur une chemise bleue ou violette. Il a grandit à Brooklyn, en a été extirpé par un programme social fédéral, il fut cuisinier en Californie, en Alaska, de nouveau en Californie, et enregistre son premier album à 53 ans, soutenu par le brillant Menahan Street Band. Mais la voix à la fois chaude et éraillée de Charles n'est celle d'aucune époque, sur laquelle on aurait scotché une couleur irrémédiable. En elle résonne désespoir désabusé qui hante toutes les notes que le blues a enfanté depuis ses origines, de Screamin' Jay Hawkins jusqu'à Millie Jackson. Il suffira d'écouter « Why is it so hard », grandiose et autobiographique complainte adressée à l'injustice de l'existence, pour s'en convaincre. Un titre qui effrite sérieusement le mythe de l'Amérique de tous les possibles, au cas où il en serait encore besoin. C'est la même écorchure béante qui jaillit de « The Golden rule », aux accents résolument engagés, et qui parle tout contre notre oreille enchantée. C'est comme si Charles voulait ne pas nous faire perdre de vue un fait tout simple : on ne s'est jamais autant approché du fond de l'âme qu'avec une musique faite de ce que la vie a passé sur nous.
Mr Moka
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